Le 6 mars, le Mémorial de Caen organisait une journée d’étude consacrée à la représentation des femmes dans la Seconde Guerre mondiale. Cette journée a été organisée suite à l’installation de la statue de Seward Johnson, Unconditional Surrender, de 8 m de haut, sur le parvis du musée. Cette statue reprend la photographie du célèbre Baiser de Times Square d’Alfred Eisenstaedt.
Dans un communiqué, l’association Osez le féminisme ! 14 a demandé le retrait de cette statue. En effet, grâce à une enquête du magazine Life dans les années 1980, on peut se rendre compte qu’aucune des femmes ayant possiblement reçu ce baiser, n’en avait eu envie. Un article du site du Nouvel Obs du 26/09/2014 donne des détails sur la question.
Le programme indiquant que l’après-midi aborderait des expositions, et n’ayant rien de prévu, je me suis empressée de remplir mon agenda avec cette journée !
Introduction par Stéphane Grimaldi, directeur du Mémorial
Stéphane Grimaldi, directeur du Mémorial, a commencé par expliquer le choix de la statue. J’ai trouvé intéressant qu’il mentionne que ce soit une œuvre de Pop Art. Peut-être qu’une lecture plus approfondie à partir d’une bio de l’artiste ou de documents sur le sujet pourrait apporter des éclairages intéressants sur les choix et le message de l’œuvre par rapport à la photographie originale. D’autant que le titre, Unconditional Surrender, porte un message qui est politique et peut-être plus profond. Ou pas… On ne sait jamais avec ces pop-artistes !
En tout cas, le Mémorial y a vu l’image qui est presque immédiatement devenue iconique des libérations parmi beaucoup d’autres photos d’hommes et de femmes qui s’embrassent. L’apostrophe d’Osez le féminisme a fait se poser la question au musée du registre et de la représentation des femmes dans les salles d’exposition, une lecture critique qui manque dans le parcours permanent mais a déjà été abordé dans les expositions temporaires. Cela renvoie, selon Stéphane Grimaldi, à ce que le public sait ou pense savoir de la guerre et notamment le changement de paradigme entre la Première et la Seconde Guerre. La Première Guerre mondiale est une guerre de soldat et de front, il y a plus de victimes parmi les hommes et notamment des soldats. La Seconde Guerre mondiale a fait plus de victimes parmi les civils (35 millions) que chez les militaires (30 millions). Cela est dû à l’exode, au génocide, aux déportations et bombardements. Parmi les victimes on observe une parité (un peu morbide à mon goût). Concernant les violences faites aux femmes, la question du chiffre est difficile mais doit être posée. Selon les différentes études on peut faire une « estimation » entre 500 000 et 1 million. Autant dire une échelle de pompier plutôt qu’une fourchette. Ce qui semble sûr c’est que ce sont les femmes allemandes qui ont été les plus violées par l’armée soviétique. Et que les troupes japonaises organisaient des viols de masse.
Astrid Leray, présidente de l’association Osez le féminisme ! 14
Astrid Leray est ensuite revenue sur les circonstances de l’organisation de cette journée et notamment les propos d’Ouest France qui ont considéré cette photographie comme celle d’un moment magique alors qu’il s’agit, comme l’indique le titre, d’une reddition sans condition, d’une victoire et que la femme est alors considérée, ce n’est pas nouveau, comme un territoire qu’on prend, possède, envahi. Les questions posées par l’association sont : Peut-on prendre un baiser forcé comme célébration de la liberté ? Comment construire l’égalité homme femme ? Et finalement, face aux « vous feriez-mieux de… » qui leur ont été adressés chercher les « que pouvons-nous faire ? ». Parce que dire « vous feriez mieux de » c’est quelque part croire qu’il n’y a qu’un front d’action alors que c’est la construction sociale du monde dans lequel nous vivons qui nous conditionne à penser un androcentrisme. Surtout si on considère que l’histoire des femmes est souvent reléguée à un encart dans les manuels d’histoire. Il existe une histoire des femmes, mais c’est une étape vers une histoire mixte.
Finalement, de cette intervention, assez brève, je retiens un souhait de prêter plus d’attention, lors de mes visites d’exposition à la question : où sont les femmes ? et comment sont-elles présentées ? Un exemple a à ce titre été cité, concernant le Mémorial. Sur la légende d’une photo où une femme debout parle à des hommes prenant un bain de soleil sur un pont (ces hommes étant tronqués), la femme n’est absolument pas mentionnée. Mon idée de muséographe, c’est qu’il faut transmettre au visiteur l’idée que porte la photographie selon nous. Je comprends cet oubli à force de rester concentré sur le message à faire passer, mais une mention ne coûtait pas beaucoup de caractères…
Claude Quétel, directeur de recherches honoraire au CNRS
Même si elles doivent subir leur sort, les femmes ne sont jamais passives dans l’histoire. Leur statut diffère pourtant d’un pays à l’autre entre 1939 et 1945.
Dans l’Allemagne nazie, la femme est cantonnée aux trois K : Küche, Kinder, Kirche (Cusine, Enfants, Eglise). L’Allemagne est pourtant en avant dans les mouvements féministes qui existent dès la fin de la Première Guerre et participent à la formation du gouvernement de Weimar. Dès 1930, le féminisme allemand se rapproche du parti nazi en scandant que le principe de la femme aux fourneaux est une relique du patriarcat juif. Les hommes font alors semblant d’être d’accord mais dès qu’Hitler arrive au pouvoir les choses changent. En 1934, il n’y a qu’une seule chose au programme des femmes : les enfants ! L’idée d’une émancipation féminine est alors considérée comme une invention juive. (Vous noterez le joli retournement de situation). La politique hitlérienne obtient un fort taux de natalité jusqu’en 1938 mais les femmes font moins d’enfants en temps de guerre, même en Allemagne.
Il en va de même dans la France fasciste de Pétain. La femme doit s’occuper des enfants. « Une femme coquette sans enfant n’a pas sa place dans la cité ». Pour autant, 800 000 épouses de prisonniers deviennent alors chefs de famille. Elles doivent se chauffer et se nourrir avec rien car elles restent au foyer. Elles sont très surveillées quant à la « libération de leurs mœurs ». Le mythe de la femme heureuse à la maison s’effondre au temps des restrictions. Celle-ci doit tout de même continuer à paraître heureuse et veiller à sa tenue.
Il ne faut pas oublier qu’il y a eu plus de déportés politique que de juifs. Dans les camps,les femmes survivent mieux car elles s’entraident plus.
Quid des femmes dans l’appareil de production ? Là aussi, cela varie selon les pays. Les membre de l’Axe sont prisonniers de leur politique et se refusent à faire travailler les femmes dans les usines. Des entorses de plus en plus fréquentes seront faites au fur et à mesure de la guerre. La France rejoint l’axe en 1940 et la femme devient alors une « vache à lait ». En Belgique, sur 900 000 appelées au STO, seules 8 000 se présenteront. La Grande Bretagne ose la conscription féminine en 1941. 6 769 000 femmes seront employées à l’usine et dans les bureaux. Au Canada, les femmes s’engagent sur la base du volontariat : elles seront 812 000. Aux Etats-Unis, ce sont 11,3 millions de femmes, soit 1/3 de la main-d’œuvre, qui se mobilisent.
Les femmes sont partout intégrées aux propagandes, comme Betty la Riveteuse. Mais elles sont toujours apprêtées.
En URSS, il n’est pas question de différence entre hommes et femmes, il existe uneégalité théorique. Elles sont toutefois moins payées et cantonnées aux emplois subalternes. Elles constituent 71 % de la main-d’œuvre en agriculture, et 52 % dans l’industrie. Au quotidien, les femmes assurent la maintenance. Au milieu des ruines, elles se rendent compte qu’elles peuvent faire ce qu’on leur disait être incapables de faire.
Certaines ont pu devenir auxiliaires des armées mais elles n’appuient pas sur la gâchette. La femme est celle qui permet la renaissance de la population après la guerre, l’éloigner du combat et de tuer permet d’assurer cette renaissance. En Grande Bretagne on compte 450 000 auxiliaires des armées, dont la future Elizabeth II. Aux USA, elles sont 360 000. Quel que soit le pays, les uniformes militaires féminins sont tous aussi moches et tentent de gommer la féminité des auxiliaires.
Certaines femmes ont toutefois été en première ligne à appuyer sur la gâchette et elles ont dû forcer leur chemin jusque-là. En dehors de la Chine Maoïste, c’est chez les soviétiques qu’on trouve des tireuses et notamment des aviatrices. L’armée russe compte trois régiments entièrement féminins. Elles sont surnommées les sorcières de la nuit par les Allemands car lors des bombardements nocturnes, elles coupent le moteur de leurs avions avant le piqué. On trouve aussi des tireuses d’élite. Elles obtiennent de meilleurs résultats, elles sont plus patientes et meilleur au camouflage. Toutefois, leur taux de mortalité est le même que les hommes. Quand une femme meurt au combat, le moral des hommes est plus atteint que pour un soldat.
Quelles motivations ont les femmes de s’engager ? La plupart du temps elles sontvolontaires. Aux Etats-Unis, où la main-d’œuvre ne manque pas, les femmes veulent faire leur part. Au Canada, on peut percevoir une certaine volonté d’émancipation : avoir un salaire (de plus) en temps de restrictions, sortir de la maison. Les femmes restent très surveillées sur le plan sexuel. En France, on trouve des FFL femme mais elles sont mal vues par le commandement anglais car indisciplinées. Sans surprise, c’est dans les pays de l’Axe qu’on trouve le moins de femme dans l’armée. 100 000 dans la Luftwaffe. 500 000 femmes sont employées par la SS pour surveiller les camps et tuent quotidiennement mais pour autant, elles ne sont pas au front et donc pas considérées comme des militaires par Claude Quétel. Partout il existe des problèmes de rapport entre les hommes et les femmes militaires, surtout si ces dernières sont gradées. Certaines enlèvent même leurs galons pour éviter ces problèmes.
Des femmes se sont également engagées dans la résistance et pas seulement pour taper des tracts mais aussi pour faire des infiltrations, de l’espionnage. Le réseau Alliance compte 700 femmes parmi ses 3 000 agents. Les femmes résistent d’ailleurs mieux à la torture. Elles ont un rôle déterminant dans la conduite de la guerre.
Le retour des femmes après la guerre est difficile et accompagné des « mensonges de la libération » comme l’obtention du droit de vote en France, utilisé pour contrer le parti communiste, et la promesse de l’égalité des salaires, toujours fausse. Les femmes sont renvoyées à la maison et culpabilisées. Toutefois, elles ont changé, elles sortent. Celles qui ne veulent pas retourner au foyer sont considérées comme ayant un « complexe de masculinité ». C’est la génération suivante qui réalisera ce à quoi leurs mères ont dû renoncer.
Fabrice Virgili, directeur de recherche au CNRS (UMR IRICE) et vice-président de l’association Mnémosyne
La notion de viol de guerre passe longtemps inaperçu. La priorité dans le récit de guerre est longtemps donnée au politique, à la géographie, aux combats. On en parle depuis une vingtaine d’année suite à l’apparition du sujet à la télévision pendant la guerre de Yougoslavie. Le viol est pourtant présent dans la guerre mythologique. Par exemple avec l’enlèvement des Sabines. Les femmes font alors partie des butins de guerre.
Une guerre sans violence sexuelle, est-ce que ça existe ?
Contrairement au meurtre, le viol est interdit en temps de paix et en temps de guerre. Le viol fait l’objet d’euphémisation dans les récits et rapports. On parle de femmes qui ont été déshonorées.
Le viol est une violence sexuelle parmi d’autres. On peut inclure les tontes post Seconde Guerre parmi les violences sexuelles, de même que les expositions nues, les pratiques sadiques de mise à mort et les mutilations (castration ou viol à arme blanche). Tout acte visant à la négation de l’humanité de la personne et de son genre est une violence sexuelle.
En Asie, la sexualité du soldat est pensée entre prostitution et viol organisé. Au Japon et en Corée, les maisons closes sont destinées aux militaires. On parle de « femmes de réconfort », un euphémisme de l’esclavage sexuel. Des rafles sexuelles sont organisées, les femmes capturées sont soumises à des viols répétés. En France, la Wehrmacht réquisitionne le système existant des prostituées encartées. Le contrôle et l’organisation de la prostitution ont surtout pour but d’éviter les maladies vénériennes et la création d’obsessions chez les soldats.
Les violences sexuelles ne concernent pas que des femmes. Des hommes sont également violentés dans les camps de prisonniers, il y a aussi des cas d’émasculation et des hommes tondus. Toutefois, la violence sexuelle est l’expression d’une domination masculine sur la femme.
Le viol de guerre est un crime pour lequel des pays, comme la France, ont été condamnés suite à des viols commis par leurs soldats. L’information concernant les événements n’est pas proportionnelle à une ampleur ou une gravité mais plutôt à une médiatisation. La comptabilité est quelque chose de difficile en Histoire, d’autant plus concernant le viol car la honte ressentie empêche l’aboutissement à des plaintes. Il n’est parfois possible que de donner un ordre de grandeur. En temps de guerre, un acte de violence peut laisser une possibilité, une pensée, d’impunité. L’uniforme et l’arme confèrent une puissance à l’homme qui se présente aux maisons le soir. Ces actes sont plus ou moins sanctionnés par la hiérarchie.
Si le viol est un crime de guerre, si un soldat en commet un en dehors de sa hiérarchie, il s’agit d’un crime en temps de guerre. Ceux-ci ont plutôt lieu la nuit et sont des viols isolés, non-accompagnés d’autres violences. Ils entraînent des sanctions, parfois exemplarisées, de la hiérarchie militaire. Les soldats US condamnés à mort pour viol, sont enterrés dans un carré spécifique d’un cimetière américain. Seul leur matricule est indiqué sur des plaques et non des croix.
Lorsqu’une armée s’empare d’un territoire, il utilise plusieurs moyens pour imposer sa domination : le meurtre, l’incendie et le viol notamment. Ce sont des crimes de guerre qui ont pour but la soumission, la peur, la frayeur, la fuite et la terrorisation des populations. Le viol devient un objectif militaire pour empêcher le soutien d’une autre armée. Par exemple en France, l’armée d’occupation a eu recours au viol pour contrer les soutiens aux résistants.
Le viol correspond à une iconographie du corps de la femme comme allégorie du territoire national. En URSS, la domination et la violence physique sont décrites par une femme avec une épaule (pas plus) dénudée. Les femmes sont soit des personnes identifiées, soit des symboles. En tout cas, l’objectif est de mobiliser les hommes. L’invasion est vécue comme une agression sexuelle par toute la population. Le viol n’est pas un tabou, il est utilisé dans la propagande pour faire peur aux hommes des viols ennemis sur les femmes.
Dans les plaintes déposées, il existe toujours une suspicion de consentement des femmes qui ont « préféré » subir plutôt que de mourir avec leur honneur. Se pose alors la question de la honte, la peur de la plainte et de l’exclusion sociale. Une femme ainsi « souillée » aura des difficultés à se marier. Une reconnaissance de viol c’est aussi une accusation aux hommes (maris, pères et frères) : « vous n’avez pas su les protéger. » Cela crée aussi une interruption de la filiation.
Certaines femmes ont pu « accepter » le viol pour des contreparties de confort : des rations supplémentaires, une protection, éviter plus de viols.
Les enfants nés de viol, en France, se fondent dans la masse (sur un plan général). Le sperme ne souille pas les français car la nation est une construction culturelle, grâce à l’école de la République, et non raciale. Ainsi, le groupe social ne peut être détruit.
Dans la préparation des procès de Nuremberg, les viols ont été recensés mais la charge disparaît aux procès. Les armées alliées (URSS, Français et Américains) ont en effet commis un certain nombre de viol. C’est dans la crainte d’un retournement de l’accusation que la charge est abandonnée pour Nuremberg. Elle est maintenue pour les procès de Tokyo.
David Guillet, directeur-adjoint du musée de l’Armée – Invalides, conservateur général du patrimoine
Le musée de l’Armée a une approche interrogative et pluridisciplinaire de l’histoire militaire. L’invitation à la participation à cette journée d’étude a permis un recensement que M. Guillet pensait être fait. Le fait est que non.
Le musée de l’Armée est né en 1905 de la fusion d’un musée d’histoire technique (celui de Polytechnique) et d’un musée de l’histoire armée (celui de Saint-Cyr). Sur 170 personnes, 50 sont des militaires. Le musée accueille 1,5 millions de visiteurs par an, surtout des civils et notamment des touristes. Il est en partenariat et se réfère à ses homologues britanniques et allemand. On peut à cette occasion noter que le musée britannique est un musée de la guerre quand le musée allemand est un musée de l’armée. Le sujet de la muséographie est l’armée et les sociétés en guerre. Sa dernière rénovation date des années 2000-2010. Depuis, le questionnement du musée sur lui-même continue et l’équipe dispose déjà d’un certain recul. Le parcours est rigoureusement chronologique et empêche une approche synthétique et thématique, notamment sur la place des femmes.
Depuis 1905, le musée a beaucoup évolué. L’image présentée par Monsieur Guillet présente une salle de drapeaux évoquant plus un lieu de commémoration tenant du religieux et du cultuel. Après la Seconde Guerre mondiale, le propos semble s’étendre, notamment avec l’image d’une salle sur les camps, à des faits non militaires d’une guerre. La présentation évoque également beaucoup plus un musée.
Dans le parcours chronologique, la première mention féminine concerne une armure dite de Jeanne d’Arc. Or cette armure a réellement dû être faite pour un homme. C’est ensuite à partir du XIXe siècle que les femmes refont leur apparition dans l’armée. En 1837, on voit des cantinières apparaître. C’est leur seul rôle dans l’institution militaire. Ne sont présentés que leur costume d’apparat où une jupe est superposée au pantalon pour des raisons de décence.
La Première Guerre mondiale est la première guerre à concerner les civils mais le musée n’expose pas d’objets sur les infirmières par exemple. Les femmes sont présentes dans les dossiers de réhabilitation des fusillés pour l’exemple, faits à la demande des familles et notamment des épouses/veuves. L’insertion de multimédias a permis de présenter l’effort de guerre et concerne aussi les femmes.
La Seconde Guerre mondiale est présentée d’un point de vue de l’armée régulière française jusqu’en 1940 où elle devient armée d’armistice et se confronte à une armée non régulière. C’est alors que s’ouvre le point de vue international. La figure féminine est alors un soutienmais aussi une combattante dans l’armée de l’air soviétique. Le musée aborde des concepts importants sans objets via des panneaux. Les femmes apparaissent également comme donateurs d’objets ou dans des dossiers comme les carnets de vols de Margot Duhalde. Des séquences présentent les camps, la déportation juive, la participation à l’effort de guerre.
La plus forte présence féminine dans les collections sur la Seconde Guerre mondiale s’explique par le plus grand nombre d’objets conservés, dont la collecte est encore possible.
Tout au long du parcours les objets concernant les femmes sont peu mis en valeurset moins visibles que d’autres car ils sont disséminés dans les salles. Des séquences thématiques renforceraient la présence de cette thématique. C’est également grâce à desexpositions temporaires que la présence de thématiques, telles que la place des femmes, peuvent être abordées. D’ici quatre ans, une exposition est prévue sur les femmes en guerre avec une grande chronologie reprenant leurs différents modes d’implications.
J’espère que cette exposition intégrera aussi une phase contemporaine ou des questionnements contemporains pour donner une plus grande portée, plus concernantes pour les visiteurs, au propos de l’exposition.
Monsieur Guillet n’a ici évoqué que des éléments exposés dans le parcours permanent. Les réserves du musée de l’Armée compte aussi d’autres objets et documents qui sont communicables et consultables, notamment grâce à une base de données des collections.
François Rouquet, professeur d’histoire contemporaine à l’UCBN et Danièle Voldman, directrice de recherche émérite au CNRS-CHS

Avec Fabrice Virgili, François Rouquet et Danièle Voldman ont édité un livre en 2003 sur les hommes et les femmes dans la France en guerre. La problématique de départ intégrait les deux guerres mondiales, englobait l’implication des civils et était restreint à la France.
Quelques années plus tard, l’idée d’une exposition a germé. Les historiens se sont alors rapprochés de l’Historial de Péronne, où la femme est peu présente. Toutefois, les historiens voulant faire apparaître le mot genre, le musée prend peur et le projet est abandonné.
C’est une rencontre avec la BDIC (Bibliothèque de Documentation Internationale Contemporaine) qui redonne vie au projet d’exposition. Cela arrive à un moment où la bibliothèque souhaite se rapprocher du Musée de l’Armée. Les historiens se sont alors posés la question de l’acceptation du sujet par l’institution mais le directeur a bien reçu l’idée. La problématique du titre restait entière et notamment les mots genre, sexe, homme et femme. Le titre finalement choisi et Amours, guerres et sexualité. Certains ont émis l’idée que le mot sexualité aurait pu également être écrit au pluriel.
La problématique de l’exposition, tout comme le livre, intégrait les deux guerres, les relations contraintes et consenties. Six parties constituaient le parcours de visite :
- Mobilisation et départs
- utilisation de l’idée du désir
- Eros mobilisé : virilité et féminité pour convaincre les gens de s’engager. L’homme est fort, la femme est désirable
- Partir : baisers mis en scène par la propagande
- Sur le quai
- Séparé-e-s
- Une sexualité contrôlée
- Contrôle, morale et censure
- Maisons closes et BMC
- Amours tarifés
- La visite au bordel
- Le péril vénérien
- Dépister, soigner
- La peur des espionnes : Private Snafu : le danger du désir
- S’aimer
- L’amour conjugal
- Marié-e de guerre (I was a Male War Bride)
- Seuls
- Seules
- Entre eux (promiscuité, homosexualité)
- Entre elles (promiscuité, homosexualité)
- Séduire
- Amours d’ailleurs
- Aimer l’ennemi (Lili Marlene, Marlene Dietrich)
- Avorter
- Les violences sexuelles
- Viols
- Tondues
- La guerre est finie
- Deuils
- Retrouvailles
- Une nouvelle vie (Hook : war ends)
La présentation a déroulé ces parties, en a présenté le contenu, certains objets et documents exposés ainsi que des chansons et vidéos. Finalement, cette communication cataloguait des éléments, quelque part déjà évoqués dans les autres communications. Ce qui m’a manqué ici c’est la question de la mise en espace, de l’adresse au visiteur, du passage du livre au texte d’exposition, la façon dont les parties pouvaient, grâce à la mise en espace, se répondre comme les Seuls/Seules et Entre eux/Entre elles. J’ai pu poser quelques questions :
Il y a eu un concours pour la scénographie. La scénographe a choisi les couleurs et les emplacements, elle a aidé dans la sélection des objets. C’est alors que j’ai appris qu’il y avait deux lieux à l’exposition, qui était séparé en deux parties par la cour d’honneur des Invalides. Cela n’a pas empêché l’exposition de recevoir entre 70 et 75 000 visiteurs.
Clothilde Mazau, médiatrice pédagogique au Mémorial, titulaire d’une maîtrise d’études cinématographiques de l’UCBN.
Dans la société américaine des années 1940, Hollywood est perçu comme un puissant moyen de communication. Entre 1942 et 1945 ce sont 500 films par an qui sortent des studios. Ils participent donc à l’effort de guerre entre 1942-1945. Des recommandations sont faites aux scénaristes pour adapter les films car ceux-ci sont montrés aux troupes. Les films ont un rôle de soutien moral pour les soldats et les civils. Dans les films de cette période, il est intéressant de se poser la question de la représentation de l’ennemi. Les acteurs et surtout les actrices font des tournées, vont dans les camps militaires pour faire des présentations ou des tours de chant. Pour les civils, les stars incitent à acheter des bons de guerre. Certaines actrices posent en pin-up dans le magazine des armées Yank.
Tous les films sont concernés et on y trouve des figures féminines récurrentes, selon les stéréotypes propres d’Hollywood. On trouve d’abord la mère, l’épouse ou la fiancée qui attend le retour du soldat. On trouve ce stéréotype surtout dans les mélodrames comme Since you went away ou Passage to Marseille avec Michèle Morgan. La femme peut également être une aventurière, une vamp, une femme fatale. Cette position sera tantôt positive, tantôt négative. La dernière héroïne de film que l’on trouve à cette époque est un mix entre les deux figures précédentes. Femme symbole de réconfort et de dévouement tout autant que de courage :l’infirmière !
La suite de la présentation se centre sur deux films iconiques de la période : Casablancaet Le Port de l’angoisse. Aucun de ces films ne passe le test de Bechdel.
Casablanca est un mélodrame sorti en 1942. On y trouve plusieurs rôle féminins : Yvonne, la femme légère, française évidemment ; Amina, la femme en détresse et Ilsa, la blessure du personnage masculin principal. Le film véhicule l’image selon laquelle l’homme doit être stoïque, fort et viril pour garder le contrôle. La figure féminine, compagne d’un résistant, doit rester dévouée à la cause et à son compagnon, no matter what.
Le Port de l’angoisse est un film noir sorti en 1944 et une adaptation d’une œuvre d’Hemingway : To have and have not. Selon l’aveu de l’auteur, son pire roman. De nombreuses interventions du gouvernement vont changer le scénario afin de le rendre plus positif pour la propagande. Cuba devient la Martinique, le trafiquant devient un marin pour touriste, la prostituée disparaît et les chinois deviennent des résistants français. Le personnage du marin reste cynique et désabusé, il accepte l’argent des résistants pour les aider. On trouve ici deux rôles de femmes : Madame de Bursac, aventurière wannabe, épouse de résistant, clairement un faire-valoir de l’autre personnage féminin ; Marie « Slim » Browing, l’aventurière, cliente de l’hôtel et alter ego féminin du personnage masculin qui semble sûre d’elle.
La représentation des femmes va avec celle des hommes. Les rapports de force entre les deux est lié à la nécessaire virilité de l’homme en temps de guerre.
C’est surtout aux publics scolaires que ces analyses peuvent être présentées au musée, lors de rencontres qui permettent l’analyse de l’affiche et du film.
Les questions que j’aurai aimé poser :
Pourquoi la femme et la sexualité ne semblent être abordées que dans des expositions temporaires ?
A quoi ça sert de parler d’histoire si on n’en tire pas des enseignements, des questionnements, des interrogations sur la place des femmes aujourd’hui ? Sur la place des femmes demain ?
A quand une exposition : Être une femme ? (sans Sardou) qui pose des questions autour des problématiques évoquées ce jour, pour aller plus loin, au-delà de l’énonciation de faits, dans une analyse de la place laissée aux femmes par rapport à la place qu’elles peuvent prendre.
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