Beauté Divine, visiter une exposition suite à une conférence

L’exposition d’hiver du Musée de Normandie est consacrée aux tableaux dans les églises bas-normandes. Dans le cadre de cette exposition, deux conférences sont organisées pour éclairer l’exposition. J’ai eu envie de voir comment une conférence pouvait orienter, documenter, aider une visite d’exposition.

Première expérience :

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Première vue du Powerpoint de la conférence de Guillaume Kazerouni

La première conférence était menée par Guillaume Kazerouni, responsable des collections anciennes, peintures et dessins au Musée des Beaux-Arts de Rennes. Monsieur Kazerouni a également donné des cours d’histoire de l’art à la Manufacture des Gobelins, à l’Institut catholique et à l’Ecole du Louvre en région. Ce côté professoral s’est illustré dans une présentation par powerpoint en trois parties et trois sous-parties. Ça m’a ramené sur les bancs (ou plutôt strapontins) de licence en histoire de l’art :-).

Une fois dans les salles de l’exposition j’ai pu constater les liens entre la conférence et la visite, l’angle choisi par l’orateur et les apports et parties laissées de côté. Je ne sais pas si j’aurai pu m’y retrouver aussi bien dans les salles sans le contenu de la conférence. Celle-ci m’a d’ailleurs permis de remarquer et de comprendre des détails sur les tableaux qui ne sont pas expliqués de cette façon dans les cartels.

Un des panneaux de l’exposition : les textes étaient assez rares, ça compense le fait qu’ils soient assez long.

J’en profite pour parler des textes d’exposition. Ils sont très bien rédigés, morcelés. Ils énoncent clairement les œuvres de la partie afin de mettre en relation tableaux et propos. Les cartels parlent souvent d’iconographie (souvent inconnue du grand public) et finalement la conférence est venue compléter les cartels. Par contre, les textes de salle sont fort mal placés. J’aurai aimé en lisant le texte pouvoir en tournant sur moi-même voir les œuvres évoquées. C’est loin d’être le cas !

Autre remarque : si vous visitez l’exposition. Dans la salle sur les copies et l’inspiration issue des gravures, cherchez la représentation de la Toussaint (représentation que je n’avais jamais vue par ailleurs). Vous remarquerez alors derrière vous un ouvrage de gravure ouvert. En fait, la gravure sur la page est celle qui a (certainement) du inspirer la composition. Elle est seulement orienté de manière à ce que le tableau et le la gravure ne puisse être vus d’un coup d’œil. C’est assez dommage mais il y a surement une raison à ce choix (conservation, gestion de la luminosité). Bref, prêtez-y attention parce que c’est plutôt intéressant à voir !

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Les expositions du musée de Normandie disposent d’un espace pour les « enfants » que j’adore. Ici : l’univers sacré catholique avec le toucher et l’odorat

L’exposition aborde également des sujets propres au musée afin de faire une médiation supplémentaire sur les œuvres : comment est constituée une peinture (nombre de couche), un atelier est présenté ainsi que les méthodes de restauration et de bichonnage des tableaux. L’espace enfant est très bien fait avec de multiples jeux (pour petits et grands) pour en savoir plus sur la composition d’un tableau catholique, se plier à une commande, toucher et sentir des matériaux en lien avec la peinture.

Compte-rendu de conférence :

Les travaux sur les tableaux conservés dans les églises sont à la charge du service de l’inventaire de chaque DRAC. Ce type de travaux est à la mode et un vivier de découvertes ! Cela permet de varier la vision des tableaux de la peinture française en dehors des musées. On y trouve des copies, des grands noms et des peintres moins connus.

I. XVIIe : Que reste-t-il dans les églises ?

Ici c’est le cas de Paris qui est étudié car il est mieux connu et documenté. La plupart des informations se vérifient dans l’exposition mais les peintres et tableaux évoqués ne sont pas exposés.

1. Les choix de la Révolution

A la Révolution, lors de la confiscation des biens de l’Eglise, tous les objets des lieux de culte sont retirés et inventoriés. Ce sont 10 000 tableaux, rien que pour Paris, qui avaient été installés depuis le XVIe siècle et le début de la Contre-Réforme. C’est alors qu’un choix est fait, par les artistes, de conserver dans les musées, de vendre ou dedétruire ces tableaux. Ces choix sont faits selon les goûts néo-classiques de la fin du XVIIIe siècle. Certains artistes sont ainsi complètement muséifiés tandis que tous les tableaux jugés trop baroques sont mis de côté.  Les peintres, comme Eustache Le Sueur, pourtant baroque, qui ont été beaucoup copiés sont conservés (les bonnes copies sont envoyées en province). Certains tableaux, dont l’autorité n’est pas claire sont tout de même conservés dans les musées « au cas où ». Les sélectionneurs portent également une attention particulière aux tableaux mentionnés dans les guides des églises.

https://i0.wp.com/nicolas-poussin.com/wordpress/images/saint-francois-xavier-cangoxima.jpgNicolas Poussin, peintre classique par excellence fait partie de ces artistes dont toutes les œuvres sont conservées dans les collections nationales à des fins d’étude et d’enseignement pour les artistes. Les œuvres jugées bizarres sont mises en dépôt en province. C’est le cas pour Saint-Denis l’aréopagite, conservé à Rouen, et la Mort de la Vierge, conservé aujourd’hui dans une église bruxelloise. Ce dernier tableau est le premier peint par Poussin pour Notre-Dame de Paris.

Ces différences de traitement par goût et par artiste donnent des destins différents à certaines œuvres polyptiques réalisées par des artistes différents. Par exemple : le triptyque de l’église du Noviciat des Jésuites (1640-1642). Nicolas Poussin a peint un Miracle de saint François-Xavier qui a été acheté par le Roi quand les jésuites ont été chassés de France. Jacques Stella a peint un Jésus retrouvé par ses parents dans le Temple, déposé à l’église des Andelys. Simon Vouet a peint une Intercession de la Vierge. Ce tableau s’est perdu à la Révolution, il a été retrouvé à Saint-Cyr mais a brûlé pendant la Seconde Guerre Mondiale avant qu’il puisse être photographié.

2. Du retable au musée

Lors de la déposition des églises et par le transfert au musée le retable perd sa fonction cultuelle. Les œuvres destinées au Louvre ont été sélectionnées pour la formation des artistes car seul le must doit être exposé aux artistes de l’Académie Royale. Peu de tableaux antérieurs à la création de cette académie sont d’ailleurs conservés. Ce sont en effet les artistes de l’académie qui choisissent les œuvres à exposer.

Certaines œuvres changent de format. Les retables cintrés sont mis au rectangle et leur toile complétée. Ces modifications posent aujourd’hui des problèmes de présentation. Les grands tableaux de maître-hôtel sont aujourd’hui exposés en même temps et à côté des plus petits tableaux des chapelles secondaires. Ils semblent flotter.

3. Retour à l’église

Les tableaux non sélectionnés pour les musées mais ayant une valeur iconographique sont renvoyés dans les églises, notamment les œuvres maniéristes, « bizarres ». Ils sont destinés à faire office d’image pieuse, de même que les copies et les œuvres de peintre de « cinquième ou sixième couteau » (pas terrible quoi). Les tableaux où les donateurs sont représentés sont également renvoyés aux églises car leur sujet est lié à un lieu et, de toute façon, trop spécifique pour le musée.

On peut citer en exemple Saint Merri délivrant les prisonniers, peint par Simon Vouet, dont l’iconographie ne s’explique que par la présence dans l’église des reliques des saints représentés.

Sont également renvoyés dans les églises les tableaux trop grands. Parmi les 80 Mays (dont certains sont conservés au Musée des beaux-arts d’Arras), beaucoup sont retournés à Notre-Dame de Paris. Toutefois, tous les tableaux ne retrouvent pas leur chapelle d’origine.

A partir de 1950, on observe des vagues de retour de tableaux dans leur église pour lareconstitution d’ensemble prestigieux (par exemple : les tableaux du tombeau de Le Brun). Petit à petit, les enquêtes dans les églises permettent de reconstituer des monographies d’artistes dont les œuvres sont peu connues. Le point de vue que l’on peut avoir aujourd’hui sur les tableaux d’église est de toute façon biaisé et sélectionné selon les goûts de la Révolution.

II. Normandie-Paris

Au cours du XVIIe on peut séparer deux périodes de chaque côté de 1650. Lors de la Ière moitié du XVIIe, l’Académie royale n’existe pas encore, les règles sont plus souples et le pays moins centralisé. La deuxième moitié du siècle voit la force des écoles régionales diminuer en même temps que les gravures permettent le développement des copies.

1. Les artistes normands à Paris

Dans la première moitié du XVIIe, les artistes parisiens talentueux sont à Rome. Marie de Médicis passe de nombreuses commandes, de même que les nobles. Il y a alors plus de demandes que d’offre en matière de commande de peinture. Rubens etGentileschi reçoivent des commandes ainsi que des peintres de province. Les commandes sont passées par des parisiens et les artistes peignent depuis chez eux. Il existe plusieurs foyers actifs en région témoignant notamment d’un maniérisme tardif. Parmi eux on trouve Quentin

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Adoration des mages – Musée des Beaux-Arts de Rouen

Varin, picard qui a également œuvré en Normandie (la Haute), aux Andelys. Il a été le premier maître de Poussin. C’est un artiste de transition entre le maniérisme et le classicisme selon les principes du Concile de Trente.

On observe des changements dans la composition : il n’y a pas de second plan, les personnages saints sont plus humanisés et on perçoit aussi une influence flamande.

Jean de Saint-Igny est un peintre né à Rouen qui incarne également ces principes. Son Assomption, de 1636, conservé à Fécamp respecte la hiérarchie divine. Les Adorations du Musée des Beaux-Arts de Rouen sont totalement en grisaille. On y remarque destraits plus légers que dans le maniérisme et est plus décoratifIl a été chargé de la décoration de la chapelle de la Vierge de l’église de Saint-Germain-des-Prés dont il partage la commande avec un des frères Le Nain. On conserve très peu de boiseries décorées. Les seuls exemples encore visibles sont dans les chapelles car les décors privés sont soumis aux changements de la mode.

2. Des œuvres « parisiennes » en Normandie

On trouve des œuvres d’artistes prestigieux du second XVIIe en région, souvent via Paris, par l’intermédiaire de connaissance ou l’intervention de communautés religieuses qui passent commande suite à une réalisation dans une antenne parisienne.

La Vierge à l’enfant de Vignon – Cathédrale de Coutances

Claude Vignon est par exemple un peintre « au kilomètre » pour l’église. C’est un vrai mode de carrière à l’époque. L’église demande des quantités de tableaux pour des prix faibles. C’est souvent un bon moyen de débuter une carrière et le seul moyen d’être exposé avant le Salon (créé à la fin du XVIIe). C’est pour cela que les grands tableaux d’église sont signés en gros, notamment en début de carrière. L’exposition Beauté divine présente un tableau de Vignon pour Coutances alors qu’il est en fin de carrière. On peut y trouver quelques traces de laisser aller chez le peintre bien installé et fort demandé.

Laurent de la Hyre a exercé ses talents à Valognes pour des Capucins. Cet élève de Georges Lallemant bien placé dans le milieu des commandes d’église. Il place alors ses élèves sur des commandes. Son œuvre a été copiée à Azeville.

Il existe dans les églises normandes, d’autres œuvres venant de Paris mais lesartistes sont encore anonymes.

3. Rayonnement du foyer parisien : les copies

Les images des œuvres connues, remarquables et/ou de qualité sont diffusées via la gravure.

Les copies sont aujourd’hui négligées à cause de leur statut de seconde main. Aujourd’hui, des études en Bretagne et dans le Maine montre un regain d’intérêt pour le sujet. Les origines du modèle donnent des informations sur les goûts et la circulation des modèles. On constate l’apparition dans une zone de multiples copies d’un même modèle. Par exemple : certains tableaux précis de Rubens ou Le Brun.

Il existe trois catégories de copies : celles qui sont inspirées de mais qui montrent une certaine

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Descente de croix de Rubens – Anvers

création, une sorte de talent. Il y a lesinterprétations et transformations qui consistent en collages de différents motifs véhiculés par la gravure. Enfin il y a les reprises intégrales. Trouver les gravures modèles est difficile mais il y a souvent des productions du Nord.

En 1620-1630, avant les diffusions massives de gravure, c’est Rubens le peintre le plus copié. Ces best-sellers sont sa Descente de croix d’Anvers, la Présentation au Temple et son Assomption de la Vierge. Concernant la descente de croix, il en existe 30 en Bretagne connues à ce jour. A partir de 1630, il y a de plus en plus de gravures françaises. Le peintre le plus fréquent est Simon Vouet qui est conscient du rôle de la gravure dans la diffusion de ses œuvres et qui en fait un suivi sérieux. On connaît unePrésentation au Temple, anonyme d’après Vouet conservée à Alençon. Cette œuvre estfacile à graver car la composition est claire mais on remarque que la copie est dans le même sens que l’original. Il est donc possible que l’artiste anonyme ait effectué la copie en ayant vu l’original.

Toute une partie du marché de l’art est alors destiné à la copie. Les gravures étant en noir et blanc, il reste toujours une part d’adaptation au peintre concernant les couleurs. Cela permet aussi d’adapter la composition à la mode tout en respectant l’iconographie en place. Au XVIIIe siècle, les modèles gravés sont encore ceux du XVIIe.

III. Les tableaux d’église et l’histoire de la peinture française du XVIIe siècle

Au XVIIe, une copie de Poussin peut valoir aussi cher qu’un original. En effet, ce n’est pas tant l’origine que l’invention et la couleur qui prévaut. Ainsi peu importe la main, à cette époque de travail en atelier, c’est le rendu qui compte. Celui-ci doit être fidèle à la pensée de l’artiste pour valoir autant.

1. L’histoire de l’art des musées : une image incomplète ?

L’histoire de l’art présentée dans les musées est incomplète et fondée sur la notion aléatoire de chefs-d’œuvre. Concernant le XVIIe, on peut résumer l’histoire de l’art des musées aux Poussin, Le Brun, leurs disciples et membres d’atelier.

L’hégémonie de ces peintres a fait oublier les peintures murales dans les églises. Ces fresques et décors sont négligés et peu étudiés en Histoire de l’art.

2. Des artistes oubliés

Le Tellier fait partie des artistes rouennais qui ont été redécouverts entièrement grâce aux travaux dans les églises.

(la troisième partie sur la domination du foyer parisien est passée à la trappe lors de la présentation ou alors j’ai fait un blackout momentané)

Conclusion :

L’exposition permet des restaurations et des découvertes de tableaux. Les découvertes enrichissent les corpus d’artistes peu connus. On trouve également des artistes étrangers comme un Jordaens à Honfleur.

La photographie de ces œuvres à l’occasion des expositions, pour les publications et catalogues permettent de véhiculer l’image de ces œuvres difficiles d’accès et peu documentées. Cela permet la documentation des œuvres mais aussi des attributions d’artistes.

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