Expérience Caravage, exposition dissertation à destination d’un large public

Jusqu’au 14 février 2016, le musée des Beaux-arts de Caen propose à ses visiteurs une expérience Caravage. Pourquoi nommer cela une expérience, et pas une exposition ? Visite et réflexions sur une exposition inédite pour ce musée.

Pourquoi une expérience ?

Ici je ne peux émettre que des hypothèses. Expérience parce qu’elle est le prémisse d’autres expositions du même genre ? (je vous dit tout de suite : je suis preneuse). Une oreille traînant un soir de vernissage m’a laissé entendre que ce serait parce qu’il n’y a pas assez d’œuvres, qu’il y a même des reproductions (!), que c’est trop petit…

Aucun de ces arguments ne trouve grâce à mes yeux. En bonne existentialiste que je suis, l’existence précède l’essence ! Une exposition c’est d’abord un discours adressé à un public dans un espace. S’il n’y a pas d’oeuvre mais que je sais de quoi on me parle, c’est une exposition, même si le sujet est artistique. D’autant que présenter peu d’oeuvre permet au visiteur de s’attarder dessus, de prendre son temps, de chercher à comprendre le sens du message. Je ne suis pas sûre que les visiteurs de l’expérience Caravage passent moins de temps dans cette exposition que dans une précédente. Mais je pense aussi qu’ils tirent plus facilement de nouvelles connaissances de ce type d’exposition plutôt que d’une exposition monographique.

Est-ce que cela s’appelle expérience parce que c’est ce qui est proposé au public ? Faire l’expérience du Caravage, et des caravagesques, l’idée est belle ! C’est aussi peut-être un moyen de communiquer autrement. Après la disparition du mot musée en dénomination des institutions culturelles faisant des expositions parce que ça fait vieux et poussiéreux, voici la disparition du mot exposition !? Cela ferait peur ? Je pense surtout que ça brouille les pistes.

Pour autant, tout cela n’est pas si éloigné de ce que je retire de ma visite de l’exposition.

3 salles, 3 parties, 1 visite

L’exposition est en effet assez réduite, de salle en salles, il y a de moins en moins d’œuvres. Mais le propos se resserre aussi vers l’essence du Caravage et des caravagesques. Il y a trois salles, aux thématiques différentes, qui se succèdent. Chacune représente un élément de discours et un voyage dans le temps.

Etape 1 : leçon d’iconographie

IMG_20160125_142621
Vue des gravures en série ou isolées

Je suis ravie que le premier espace soit consacré à l’iconographie, c’est pour moi essentiel aujourd’hui. Pour avoir vécu des cours sur le sujet où j’étais la seule de mes camarades proches à ne pas découvrir totalement les codes, pour devoir expliquer des tableaux à mes parents depuis l’adolescence, je pense percevoir la lacune de certains de mes contemporains à percevoir les indices planqués dans les tableaux, qui permettent de les titrer, de les expliquer. Ce manque n’est pas vain à combler car je pense que laisser ce vide c’est renforcer le fossé entre les gens et l’art, surtout l’art ancien certes, mais qui a aussi construit les codes de l’art jusqu’à aujourd’hui (même par opposition).

Revenons à nos moutons, cette partie présente différentes scènes de la vie du Christ, soit autour de la thématique du repas (il en a pris quelques uns) soit sur l’après-résurrection (partie un peu moins connue je trouve). Le tout avec des séries de gravures et d’autres isolées, de styles différents mais a priori avant Caravage. Cette partie d’exposition est une petite démonstration des possibilités didactiques de la collection d’estampes du musée des Beaux-arts de Caen, et notamment du fonds Mancel

Etape 2 : le caravagisme

Le deuxième espace met l’oeuvre principale de l’exposition littéralement au centre : le repas d’Emmaüs, deuxième version, de Caravage, que j’avais juste vu en octobre à Milan, à la Pinacothèque di Brera, sa maison habituelle. C’était bien la peine !

IMG_20160125_143547
Le prêt de la Pinacothèque milanaise est littéralement au centre de l’exposition

C’est un tableau magnifique, une chance que ce soit l’original pour être sûr que le caractère vibrant du fond noir vienne bien de l’oeuvre et non de sa reproduction. La paix qui règne dans ce tableau en fait un moment suspendu. Le jeu de lumière est très typique. C’est un vrai plaisir. Je l’apprécie d’autant plus là, seul, qu’à Milan, où il était noyé dans les chefs-d’œuvres, dans une salle orange et un plafonnier à la lumière un peu jaune. La lumière blanche, presque éclatante (toutes mesures de conservation préventive gardées), lui convient mieux.

Ce tableau star est une deuxième version car Caravage avait déjà peint un premier repas d’Emmaüs, aujourd’hui conservé à Londres. Pour mémoire, une reproduction est exposée. Je salue cette initiative du musée d’avoir eu recourt à ce fac-similé de qualité. Le tableau est là pour son caractère documentaire et ainsi ne fait pas du tout concurrence au prêt milanais. La version londonienne est beaucoup plus vulgaire, tire plus sur la scène de genre que la version solennelle italienne. Sur le mur opposé à la reproduction, un scanner et une radiographie sont reproduits. J’ai essayé de trouver ce qu’on devait y voir mais j’avoue ne pas avoir trouvé in-situ. Mais j’y reviendrais plus loin (et non cet article n’est pas fini).
L

IMG_20160125_143311
Deux tableaux caravagesques prêtés par le musée des beaux-arts de Rouen et le musée de Grenoble sur le sujet du souper d’Emmaüs

a deuxième partie de la salle propose une déclinaison du repas d’Emmaüs chez les caravagesques, élèves ou influencés par le Caravage. Au nombre de quatre, ces tableaux sont tous conservés en France et présents dans leur version originale. Cette salle donne l’impression d’être dans une exposition exercice : à partir d’un même cahier des charges, réalisez l’oeuvre. Et c’est peut-être bien cela qui est recherché. La cohérence de sujet, le lien entre le maître et les disciples, met en évidence les caractéristiques de la peinture caravagesque : fond noir, jeux de lumière et couleurs vives. Si je peut me permettre de résumer ainsi. Une fois ces caractéristiques comprises, le visiteur est armé pour entrer dans la troisième salle.

Etape 3 : influence et réminiscence contemporaine

IMG_20160125_143906 (1)
Vue de la vidéo de Bill Viola

Cette salle est entièrement dévolue à une oeuvre vidéo contemporaine de Bill Viola. Le cartel est à l’extérieur de la salle car l’oeuvre est plongée dans le noir. L’oeuvre s’appelle The Quintet of the Astonished, il s’agit de cinq comédiens filmés en slow-motion sur une vidéo de 15 mn. Les personnages sont en mouvement, forcément très lent, mais cela permet de tous les regarder passer d’une expression à l’autre, de voir les interactions entre les personnages. Je me suis demandé tout le long, combien de temps avait été nécessaire pour réaliser ce mouvement à vitesse normale.

L’esthétique permet de faire le lien avec Caravage : le fond noir, les couleurs, la lumière. Ici c’est l’expression qui m’a semblé mis en valeur, la lisibilité des émotions.

 

5 commentaires sur “Expérience Caravage, exposition dissertation à destination d’un large public

Ajouter un commentaire

    1. Cette exposition est très bien ! Elle est intéressante, didactique. Pour moi c’est la bonne exposition normale. Ce qui me dérange, et fait peut-être ressentir une réserve, c’est que justement, c’est exceptionnel d’avoir une exposition de ce type…

      J’aime

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

Propulsé par WordPress.com.

Retour en haut ↑

%d blogueurs aiment cette page :