
J’ai reçu ma première invitation à un vernissage d’exposition dans le cadre du blog, à l’artothèque de Caen, suite à mon article sur l’ensemble non monochrome. Donc pour ma deuxième visite à l’artothèque, je vais de nouveau découvrir un artiste vivant et de la région. Ça me change des musées que je fréquente habituellement qui présente majoritairement des objets et des artistes morts.
Je ne suis pas familière des artistes contemporains locaux et j’apprécie beaucoup cette nouvelle connaissance que l’artothèque m’apporte pour ça.
Première approche
Concernant l’exposition Partition de Bernard Legay à l’artothèque, j’ai tout de suite été saisie par une oeuvre en particulier qui m’a plu de loin et fascinée de près. Toutefois, je serais incapable de vous en dire le titre car le parti pris de l’artiste a été de n’afficher aucun cartel : pas de titre, pas de médium, pas de date. Cette oeuvre, c’est celle-là :
N’ayant pas beaucoup d’information sur cette oeuvre, je vais vous raconter mon approche. Située à l’opposé de l’entrée, l’oeuvre ne m’est pas apparue tout de suite, d’autant qu’il y avait du monde à ce vernissage. Mais dès qu’elle est entrée dans champ de vision, j’ai accroché. De loin, on voit des petits morceaux de couleurs et ça m’a fait pensé à des confettis, comme les restes d’une énorme fête, avec beaucoup de gens, un moment très gai mais qui est passé, parti, fini ce qui laisse un sentiment assez triste. En m’approchant je constate que ce ne sont pas des confettis mais plutôt des éclats et écailles de peintures, comme on en voit parfois sur les plomberies peintes avec une peinture non adaptée aux variations thermiques des tuyaux d’eau chaude. Et là, c’est une fois de plus la mélancolie que me fait ressentir cette oeuvre, celle des vieux bâtiments industriels abandonnés.
Ce que j’ai beaucoup apprécié dans cette première confrontation pour moi avec les œuvres de Bernard Legay c’est qu’aucune ne m’a laissée indifférente. Il y a des œuvres qui m’ont émue, attirée, marquée et d’autres qui m’ont repoussée, dégoûtée. C’est ce qu’on m’a toujours dit de l’art contemporain, ça ne laisse pas indifférent, ça ne doit pas laisser indifférent. Malgré une fréquentation de musées d’art contemporain et de section contemporaine dans les musées, ce n’est pas si fréquent, et il y a des œuvres au-dessus desquelles ou en-dessous desquelles je passe complètement. Ici ce n’est pas le cas. Je trouve les propositions de l’artiste intéressantes.
Tour d’horizon plus large
C’est une petite exposition d’une seule salle avec un parti pris scénographique minimaliste, quelques socles définissent un vaste carré dans lequel sont posées des œuvres non soclées et donc à même le sol. C’est déjà arrivé, mais pour des œuvres aussi petites, c’est une première pour moi. On pourrait trouver ça dangereux pour le public et pour les œuvres mais la réaction est un surcroît d’attention, de calme de la part du public pour les œuvres. On se déplace en faisant attention où on met les pieds, on fait des gestes suspendus, etc.
C’est dans cette partie que j’ai trouvé les œuvres qui m’ont le moins plu. Plus organiques mais dans un sens négatif car évoquant chez moi champignons et moisissures, formes affaissées, molles et dures en même temps (sûrement du au médium que je soupçonne être de la mousse expansée), c’est certainement pas mon truc, c’est le genre de formes qui me dérangent, limite me dégouttent.
L’oeuvre à laquelle j’ai également eu une réaction forte et celle qu’une amie à qui j’ai envoyé la photo à nommé la salade. Eh oui, à ne pas vouloir nommer les œuvres, elles se retrouvent affublés de sobriquets plus ou moins heureux. A moi cela a évoqué des algues sur un rocher et mon cerveau a tout de suite fait l’association avec l’odeur de la marée, du varech, un truc qui pue. L’amas marron posé dessus n’a pas aidé à enlever l’image de la puanteur de ma tête… Et j’ai décidé d’arrêter là ma réflexion. Ce que je reconnais dans cette œuvre c’est la force évocatrice d’une forme en réalité abstraite et absolument artificielle, qui, si elle n’est pas ragoutante, fonctionne et imprègne sa marque sur le visiteur.
Des mots et des titres
Moi qui suis très très attachée à la médiation en général et surtout à la médiation textuelle, en remarquant qu’il n’y avait aucune information sur les œuvres, je me suis d’abord dit : c’est le vernissage, ils les mettront plus tard. Puis, lors des discours, Claire Tangy, la directrice de l’artothèque, a mentionné que c’était une volonté de l’artiste. J’ai du faire une tête étonnée puis j’ai laissé tomber. Le propos mentionnait en effet que ce sont les œuvres qui étaient les mots et en approfondissant ma visite je me suis dit que finalement ça marchait bien grâce à leur force d’évocation. Il faut encore que le visiteur s’autorise à penser par lui-même. C’est quelque chose qui ne va pas de soi et que je ne fais pas depuis très longtemps pour ma part. Il m’a fallut plusieurs visites d’expositions variées, des cours d’histoire de l’art approfondis, des lectures, du temps et donc aussi un peu de maturité (mais pas trop non plus) pour arriver à me dire que ce que je pense devant une oeuvre, j’ai le droit de le penser et que si ce n’est pas la volonté créatrice de l’artiste, c’est ma réception de visiteur. On peut faire ici une analogie avec le schéma de la situation de communication.
Ce qui m’a marqué aussi lors des discours, c’est que Bernard Legay est pour le moins laconique. Je trouve que cela va bien avec son oeuvre, qui se veulent ses mots ce qui rendrait son expression verbale supplémentaire (mais pas inintéressante, c’est le rêve de tout historien de l’art, surtout ancien, obtenir la certitude que son analyse de l’art et de l’artiste est vraie, juste, si ce n’est « pas fausse »). Certaines œuvres de l’exposition Partition utilisent des mots brefs mais qui réagissent bien avec l’ensemble de l’oeuvre. Ici je vais vous parler des amas de pierres imprimées (de nouveau titre personnel). J’en ai repéré deux différents mais j’ai eu la même approche.
L’oeuvre est composée d’amas (tas ce n’est pas joli) de pierres comme issues d’un bâtiment en ruines à ceci près que ces pierres sont imprimées par des images ou comme sur la photo d’une reproduction de plaque commémorative. Cette oeuvre m’a tout de suite fait penser au projet d’exposition Reconstruire que j’ai mené en master et qui posait aussi la question de la mémoire. Et c’est pour moi le sujet de cette oeuvre, la mémoire. Parce que cette image évoque la mémoire des victimes de la guerre et d’autres images dont le sens se perd, dont la mémoire n’est pas demeurée. J’ai trouvé ça assez poétique et triste, comme les mémoriaux de guerre finalement, mais avec un caractère plus réflexif. Un peu plus loin un autre morceau porte la mention « encore ». Ce mot ici isolé prend une dimension plus grande que son simple caractère adverbial : encore, inverse de la der des ders, synonyme d’en vouloir plus. Le mot même est isolé dans l’espace alors que son sens emmène vers un regroupement.
La difficulté d’une exposition d’art contemporain où les œuvres ne sont pas nommées, on ne sait pas où elles s’arrêtent, c’est le cas des amas de pierres car finalement les deux pourraient être liés en une seule oeuvre, ou pas. C’est très intéressant car l’exposition devient ainsi une oeuvre en soi, une installation pendant un instant T (qui dure un peu plus d’un mois) et qui n’existera plus par la suite. Et c’est là que le titre de l’exposition prend un sens aussi intéressant : Partition. La partition c’est la feuille qui rassemble les notes d’un morceau de musique, dans l’exposition c’est l’espace qui rassemble les œuvres-mots qui composent l’ensemble exposition. Ça ça me fait penser à Kandinsky, qui a construit l’art abstrait en peinture autour de termes musicaux car la musique est l’art abstrait par excellence, bien que très chargé de sens et d’émotion. Cet art abstrait qui ne vaut que pour lui même, qui se détache du réel, qui est son point de départ, est à ressentir et non à interpréter. Et si Kandinsky est mon artiste préféré et celui dans les œuvres duquel je me perds le mieux, c’est peut-être aussi pour la liberté qu’il me donne de voir, de reconnaître ce que je souhaite si je veux le rattacher au réel ou si je veux m’envoler aussi dans l’abstraction. Dans ma première approche de Bernard Legay, j’ai cherché des attaches dans le réel, peut-être ma prochaine visite sera plus dans l’abstrait.
En effet, lors des vernissages on ne profites jamais pleinement de l’exposition, on ne peut pas être muséovore et aussi résister à l’appel du buffet ! Je vais donc aussi aller suivre la visite guidée de l’exposition pour profiter plus et rencontrer d’autres interprétations et présentations.
L’exposition de Bernard Legay est présentée dans le cadre d’un partenariat avec le Café des Images (cinéma d’art et d’essai). Un film a en effet été réalisé par Christophe Bisson sur le travail de Bernard Legay.
J’aime beaucoup ton écriture, et je dois dire qu’elle a presque pris le pas sur le contenu même si j’ose dire (mon âme de littéraire parle sûrement à ma place parfois). En tout cas, je trouve intéressant de voir que nous avons eu des ressentis différents, et surtout une interprétation différente de cette exposition qui a su, je pense, nous intriguer.
Belle continuation 🙂
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Merci beaucoup de ce commentaire et de ce magnifique compliment qui me touche beaucoup ! Je pense que mon écriture change aussi en fonction de l’expo dont je parle…
A un prochain cross-over !
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