Sur ce monde en ruines, musée des beaux-arts de Caen

Le musée des beaux-arts de Caen avait, peu ou prou, le même accrochage contemporain depuis ma première visite. C’était un accrochage avec des variantes mais aussi de grands repères et du coup j’y étais assez attachée. C’était habituel, confortable, comme à la maison. Depuis l’automne 2015, le musée propose un nouvel accrochage mêlant des œuvres de ses collections avec celles du FRAC de Basse-Normandie. Cet accrochage donne un coup de neuf, un coup de frais, ça fait du bien ! D’autant qu’il est thématique et a comme point de départ le roman d’Alfred de Musset, La Confession d’un enfant du siècle. La visite s’annonçait prometteuse !

IMG_20160125_151335L’exposition commence par un texte introductif, présentant le projet de mêler les deux collections, accompagné par une citation du texte d’Alfred de Musset. Le côté gauche de l’introduction explique les liens à faire entre la citation du côté droit et les œuvres de l’exposition. L’objectif est de faire raisonner le roman du XIXe siècle avec des œuvres contemporaines, du XXe et du XXIe siècle. Et plus globalement de faire raisonner l’ensemble avec le monde contemporain dans lequel vit le visiteur. Dès le départ, on sait ainsi ce dans quoi on s’engage, ce qu’on va voir, ce qu’on va ressentir ou tout du moins, ce qu’on a voulu nous faire voir et ressentir. Dans la partie droite la citation d’Alfred de Musset peut en effet évoquer certains éléments de notre monde actuel. La guerre et ses ravages sur les populations, mais aussi de l’espoir, beaucoup d’espoir, malgré un pessimisme ambiant annoncé. Merci Wiki pour le texte à disposition. Voici l’extrait proposé dans l’exposition.

Alors il s’assit sur un monde en ruines une jeunesse soucieuse. Tous ces enfants étaient des gouttes d’un sang brûlant qui avait inondé la terre ; ils étaient nés au sein de la guerre, pour la guerre. Ils avaient rêvé pendant quinze ans des neiges de Moscou et du soleil des Pyramides ; on les avait trempés dans le mépris de la vie comme de jeunes épées. Ils n’étaient pas sortis de leurs villes, mais on leur avait dit que par chaque barrière de ces villes on allait à une capitale d’Europe. Ils avaient dans la tête tout un monde ; ils regardaient la terre, le ciel, les rues et les chemins ; tout cela était vide, et les cloches de leurs paroisses résonnaient seules dans le lointain.

[…]

Trois éléments partageaient donc la vie qui s’offrait alors aux jeunes gens : derrière eux un passé à jamais détruit, s’agitant encore sur ses ruines, avec tous les fossiles des siècles de l’absolutisme ; devant eux l’aurore d’un immense horizon, les premières clartés de l’avenir ; et entre ces deux mondes… quelque chose de semblable à l’Océan qui sépare le vieux continent de la jeune Amérique, je ne sais quoi de vague et de flottant, une mer houleuse et pleine de naufrages, traversée de temps en temps par quelque blanche voile lointaine ou par quelque navire soufflant une lourde vapeur ; le siècle présent, en un mot, qui sépare le passé de l’avenir, qui n’est ni l’un ni l’autre et qui ressemble à tous deux à la fois, et où l’on ne sait, à chaque pas qu’on fait, si l’on marche sur une semence ou sur un débris.

La Confession d’un enfant du siècle, première partie, chapitre 2, Alfred de Musset, 1836, Wikisource

Je n’ai pas lu La Confession d’un enfant du siècle mais cet extrait m’a donné envie de le lire, cette citation part d’un constat pessimiste mais crée une ouverture qui donne envie de partir du bon pied, avec le sourire, vers un horizon radieux.

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Le premier espace de l’exposition : la guerre

Le parcours de l’exposition est assez clair. Chaque espace du white cube est lié à une citation de de Musset qui constitue le seul texte d’exposition. Celle-ci est située bien à propos au fond de la salle, ou tout du moins bien en évidence, dans une typographie lisible mais un peu fine. (Du coup mon objectif un peu myope ne voit rien).

La proposition de cette exposition est très intéressante : faire le lien entre un écrit ancien pour lui donner une actualité et une illustration dans l’art contemporain. Cela peut faire raisonner une relativité de l’histoire, son aspect cyclique, moderniser un texte littéraire. J’ai attendu de voir trois fois l’exposition avant d’écrire cet article, car je n’arrivais à pas à rentrer en me disant, j’ai vu la résonance annoncée dans l’introduction. Finalement en ayant bien lu le propos de départ, je n’ai pas réussi à établir un lien fort entre toutes les œuvres et la citation. Ainsi ce qui aurait pu faire la grande force de l’exposition fini par la

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Vue du seconde espace de l’exposition : la mort

desservir pour moi. Le rendu est ici de l’ordre du prétexte, j’ai eu l’impression d’un placage d’un texte du XIXe siècle sur des créations dont le propos artistique au départ est autre. Les œuvres deviennent ainsi des illustrations qui soutiennent un propos et non des œuvres soutenues et unies par un propos, un accompagnement discursif. De plus les œuvres sont accompagnées de cartels restreints ce qui ne les place pas dans une ligne directe par rapport à l’aspect littéraire. Les œuvres sélectionnées sont très belles, intéressantes, intrigantes. Mais, dans ma visite, cherchant à retrouver les impressions que m’avaient donné le texte, mon attention a été peu retenue. J’ai parfois eu du mal à trouver les cartels (plutôt éloignés et dans un positionnement qui n’a pas été intuitif pour moi).

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Vue du troisième espace de l’exposition

Ainsi de ce parcours de cinq espaces, je retiens particulièrement quatre œuvres sur les cinquante présentées. D’autres m’ont attirées, je les ai vues mais elles n’ont pas retenu mon attention de visiteur en quête du sens donné à l’exposition, par la citation de de Musset. Ce sont en particulier les aspects négatifs du texte qui ont retenu mon attention sur les œuvres : la guerre (Don’t be a Chocolate Soldier de Micha Laury), la mort, l’inquiétude et le pessimisme. Une partie était bien consacrée à l’aspect plus positif mais peut-être que les œuvres choisies étaient moins illustratives pour le propos, plus abstraites aussi. Dans ce cas, le manque de lien discursif entre l’oeuvre et la citation m’a fait passé complètement au-dessus des œuvres.

Ce que j’ai remarqué aussi c’est qu’il n’est pas évident de faire la différence entre les œuvres du musée et celles du FRAC parmi les œuvres que je n’avais jamais vues. Cela montre d’une part que les œuvres forment ici un ensemble homogène et d’autre part cela noie un peu l’institution régionale qui aurait pu obtenir une lisibilité de sa collection plus importante. J’ai toutefois remarqué le FRAC car les œuvres qui ont retenu mon attention en étaient majoritairement issues.

Enfin, le dernier espace apportait une vision bien plus contemporaine avec une oeuvre qui m’a énormément plu et qui m’a fait pensé à une certaine techno-phobie mais aussi à la méfiance, la crainte qui se développe face au développement du numérique et des machines.

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Kwiktime Osama, Gloria Friedman, 2005, FRAC Basse-Normandie

C’est à cet endroit que j’ai senti le plus d’actualité de la situation et surtout sa transposition dans le monde actuel, voire une certaine dimension d’avant-garde digne d’une science-fiction post-apocalyptique.

Cet accrochage est à voir jusqu’au 31 août 2016 au musée des beaux-arts de Caen. J’y retournerai sûrement en occultant la côté littéraire pour m’attarder sur les œuvres photographiques et abstraites pour enfin les voir !

2 commentaires sur “Sur ce monde en ruines, musée des beaux-arts de Caen

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