Dans le cadre du festival Normandie Impressionniste, le musée des beaux-arts de Caen a fait le choix de dresser le portrait d’un peintre norvégien, contemporain des impressionnistes. Un grand inconnu pour ma part et donc aussi une grande et belle découverte ! La monographie est un des choix possibles pour évoquer le portrait, thème du festival 2016.
Thaulow, le peintre du Nord
Une exposition sur un peintre du Nord à Caen, ça a du sens. Le festival des Boréales met à l’honneur chaque année un pays du Nord différent ; un jumelage avec la Norvège est par ailleurs actif depuis longtemps. Dresser un portrait monographique permet de mettre en valeur ce peintre peu (ou pas) connu en rapport avec son temps : celui du pleinairisme et des impressionnistes.
Le parcours de l’exposition est assez simple, sans être classique. Plutôt que de faire une longue monographie (influences, œuvres de jeunesse, maturité, postérité) la première partie est consacrée au personnage qu’était Frits Thaulow (/tolo/ ou /taolov/ selon votre affinité avec le norvégien) puis trois thématiques sont abordées : l’eau, la neige et la nuit avant de présenter une oeuvre contemporaine faisant le lien autant avec l’oeuvre sur l’eau de Thaulow qu’avec la Normandie.
Aussi, si de prime abord on peut se dire que l’exposition n’est pas directement en lien avec l’impressionnisme, et encore moins avec la Normandie, la magie de l’histoire de l’art arrive à dire le contraire ! L’exposition n’en reste pas moins de qualité et dans un certain esprit impressionniste et normand.
Rencontre du type scandinave
J’ai appris pas mal de choses sur Frits Thaulow dans cette expo. Ce n’était pas difficile puisque je ne connaissais pas le peintre auparavant… Les textes sont claires et pas trop longs. Donc, en peu de mots, on comprend qui était cet artiste. Il y a des portraits et des photographies pour compléter la présentation. On entre ainsi en intimité avec ce peintre. En tout cas, j’ai eu l’impression de le rencontrer.
Le premier trait de caractère que j’ai retenu de Thaulow, c’est qu’il était un colosse. Le type du viking scandinave, grand, blond avec une barbe. Et dès qu’on s’est fait cette image, on voit cette reproduction, et tout s’effondre…
Dès cette première partie, Thaulow est placé dans un cadre social spécifique. Ce peintre a connu les grands artistes de son époque, qui ont été reconnus en leur temps ou plus tard. Il y a cette photo avec Rodin. Et puis on apprend qu’il était le cousin de Munch par la mère de Thaulow, soeur du père de Munch. Ils ont seize ans d’écart et Thaulow est l’aîné. Et comme Frits va avoir du succès rapidement, il va aider son cousin : lui financer des voyages et lui faire rencontrer des gens. La différence notable entre les deux cousins ? L’humeur ! En effet, Thaulow et son oeuvre se caractérisent par une lumière et une joie de vivre quand Munch est déjà dans les nuances sombres et plutôt déprimé. Il faut dire que son histoire familiale est loin d’être gaie. C’est très frappant sur les deux paysages comparés, semblables et pourtant si différents.
Et l’arbre généalogique artistique ne s’arrête pas là, en seconde noce, Thaulow épouse Ingebord Gad, ça ne vous dit rien. Mais la sœur de cette jeune femme, Mette, n’est alors autre que l’épouse de Gauguin. Les deux artistes sont ainsi beaux-frères.

Et puis dans cette partie, on apprend aussi la théorie de la peinture paysagiste selon Thaulow, qui se définit comme un pleinairiste. Il n’y a pas d’autres peintures que la peinture réalisée en extérieur pour lui. Il pensait même qu’un artiste paysagiste ne devait pas avoir d’atelier. Cela correspond aussi au fait que Thaulow a passé la plupart de sa vie à voyager, ne restant jamais longtemps au même endroit. Au point de vivre dans une roulotte, avec femme et enfants, pendant plusieurs mois. Rien n’arrête le viking qui peint dehors par tous les temps et parfois dans des endroits dangereux à proximité de cascades ou de falaises.
En tout cas, on peut dire pour toutes les esquisses et œuvres préparatoires de Thaulow exposées : elles ont bien été réalisées en plein air. Mais Thaulow n’est pas aussi jusque-boutiste que Monet qui cherche à finir certaines de ses œuvres en plein air. Les grands formats de Thaulow ont été réalisés en intérieur, si ce n’est dans un atelier. D’ailleurs, s’il rencontre les dits impressionnistes, le scandinave se réclame du paysage réaliste, sa touche est très appréciée par les amateurs et les marchands de l’époque. Pas de problème d’argent pour l’artiste scandinave qui en profite pour aider cousin, beau-frère et amis.
Le rendu de ses tableaux présente des glacis et, comme un Boudin, on trouve ce qu’on considère comme moderne (traits esquissés et formes plus abstraites) dans les esquisses tandis que les tableaux achevés sont plus léchés, finis en somme. Thaulow ne remue pas les critiques, c’est un peintre qui fait son bonhomme de chemin dans le monde des marchés de l’art de son époque. Il est remarqué et admiré par les acheteurs et c’est bien ce qui compte en somme.

Ce qui plaît surtout chez Thaulow c’est l’exotisme nordique qu’il représente. Ses paysages de neiges sont parmi ses best-sellers, acquis par l’Etat et les marchands jusqu’aux Etats-Unis. Lors de la visite guidée réalisée par Emanuelle Delapierre, commissaire et conservatrice du musée des beaux-arts de Caen, il a même été évoqué, au sujet de cet exotisme, une certaine jalousie de Gauguin envers son beau-frère. Et ce pourrait être cette recherche de son propre exotisme qui pousse Gauguin à partir dans les îles…
Thématiques élémentaires

Après la partie biographique, se succèdent trois parties thématiques, chacune concernant un élément : l’eau, la neige, la nuit. L’eau est la thématique qui rapproche le plus Thaulow des impressionnistes. Le traitement de l’eau, de ses couleurs et ses reflets, sa prépondérance par rapport au ciel sont des caractéristiques qu’on retrouve chez les impressionnistes. Cette partie, juste après la biographie, permet d’entrer dans le sujet Thaulow impressionniste. C’est aussi l’occasion d’aborder Montreuil-sur-Mer, où Thaulow est beaucoup resté, et où il a participé à cette école d’Etaples qui a son musée depuis peu.
La neige vient dans un second temps, c’est ce qui constitue l’art classique de Thaulow, le cœur, et donc la thématique centrale du parcours. La salle est joliment blanche, comme un paysage de neige et des fenêtres sur des paysages enchantés de blanc. Le ton s’y fait magiquement plus étouffé, plus calme. Tout les sons sont absorbés, comme dans un vrai moment de neige. Tout est blanc et lumineux. Mention spéciale pour le mobilier scéno : absolument magnifique ! A partir de cette salle, il y a de plus en plus d’œuvres d’autres artistes. C’est intéressant de comparer qui a peint quoi et comment par rapport à Thaulow. Le seul souci que ça me pose, c’est que ce n’est pas clair pour un visiteur qui survole un peu l’exposition. Il va fixer des images très différentes et des approches de la peinture qui ne sont pas celles de Thaulow.
La dernière partie est consacrée à la nuit, avec une mention pour Pont-Aven et donc encore un peu de Gauguin. Là aussi, plus de peintures de contemporains que de Thaulow. Les toiles se répondent et vont bien ensembles. Simplement dans une monographie, j’attends d’identifier tout de suite, et visuellement dans l’espace, les œuvres de Thaulow, par une graphie ou une scénographie différente, des autres.
En parlant de la scénographie, elle est très réussie ! Elle prend en compte les espaces de l’exposition : un couloir et cinq salles, plus ou moins, en enfilade. Le scénographe a beaucoup et bien travaillé, les murs ont été modifiés et des cloisons arrondies ont été ajoutées. Cela adoucit la visite, rend la vision des tableaux encore plus agréable, l’œil n’est pas arrêté sur l’angle du coin de la salle. L’exposition simplement plus fluide. Cette fluidité, qui est bien pratique dans une exposition pour la circulation, fait également référence aux éléments abordés, comme l’eau. Pour la neige la pièce est quadrangulaire mais cette clarté toute neigeuse, la moquette et ce magnifique siège donne une ambiance d’une grande douceur. Enfin la dernière partie sur la nuit est plus intimiste, sombre avec un plafond bas, étriqué aussi, resserré, sans être étouffant. Elle ouvre sur les derniers éléments de l’exposition : une oeuvre d’art contemporain et un espace de médiation.
La petite note contemporaine
L’art contemporain prend une place de plus en plus importante au musée des beaux-arts de Caen, ce qui n’est pas pour me déplaire. D’autant que la méthode utilisée me semble bonne. En effet il s’agit de partenariats (avec le Frac), ou de mélange avec de l’art plus classique comme ici. Cela permet de faire dialoguer des collections, et des artistes contemporains, avec des œuvres plus anciennes. Cela marche bien avec l’oeuvre sélectionnée pour clore l’exposition Thaulow. Elle est suffisamment en retrait pour être discrète, et bien séparée de l’expo, et à la fois bien visible. Il s’agit d’un grand écran filmant le recouvrement d’un morceau de plage par la mer. C’est beau, court et poétique. Filmé en noir et blanc, la vidéo témoigne aussi d’un contraste de luminosité très fort. Élément liquide, luminosité, contraste sont des clés également utilisées par les impressionnistes, Thaulow et Thibault Jehanne. Un autre moyen de faire un prolongement entre les artistes contemporains et les impressionnistes.
Enfin, à partir des tableaux de Thaulow, un grand espace de médiation a été installé avec des puzzles et beaucoup, beaucoup de déguisements avec des espaces pour faire des photographies dans des décors dignes de tableaux. C’est plutôt attrayant et ça permet au visiteur de se tirer l’autoportrait en mode selfie ou posé avec costume et accessoires. Il peut ainsi avoir une vraie réflexion de la mise en scène tout en restant dans la ligne de l’exposition.
J’ai passé un excellent moment à l’exposition Thaulow, comme à l’exposition Caravage. Les dernières expositions du musée des beaux-arts de Caen témoignent d’un renouveau dans la médiation et l’expographie qui fait vraiment plaisir ! Vous pouvez aller la découvrir, elle vaut vraiment le détour, jusqu’au 26 septembre 2016.