Je vous propose ici le compte-rendu des notes prises lors de la conférence de Marianne Cailloux, maître de conférence à l’université de Reims sur les représentations de l’archange dans les Alpes. Cette conférence était organisée par l’association Les Chemins du Mont-Saint-Michel le 14 septembre 2016 à Vire. C’était une passionnante conférence sur l’iconographie !

Je dois malheureusement vous la restituer sans images…

Marianne Cailloux nous propose ici une présentation des recherches effectuées pour sa thèse. Cette dernière porte sur les représentations de saint Michel dans diverses peintures repérées dans différents bâtiments. Leurs particularités communes sont les difficultés, tant pour les trouver que pour les conserver dans des lieux dont le climat n’est pas surveillé. Saint Michel est un archange qui apprécie les hauteurs. L’utilisation de son image traduit des représentations socio-culturelles variées selon les gens qui fréquentaient ces images.

Il faut d’abord s’intéresser à la matérialité de l’édifice : son architecture, le mobilier. Quelle est la place de l’image de l’archange dans l’édifice ? C’est important, surtout dans un espace aussi symbolique qu’un édifice religieux. Quel est le rapport par rapport à la route, l’altitude, la fréquentation de l’endroit ? Cela permet d’estimer sa réception.

Saint Michel protège des protestants et des vaudois. On trouve des images de lui à tous les niveaux. Le corpus est composé de 70 occurrences dont 50% des édifices sont isolés, à destination des pèlerins quand il est sur les routes et pour les modestes. Si ces lieux sont aujourd’hui isolés, ils étaient auparavant fréquentés. Les peintures murales sont prépondérante car elles sont plus abordables et plus difficiles à voler. En ville la représentation du saint est plutôt à destination du culte aristocratique car l’archange est un chevalier. Il est toujours représenté en hauteur par rapport à l’habitat. Dans la vallée, l’image de saint Michel se dilue le long du pèlerinage.

L’archange est à la fois aristocratique et populaire. Lors des pèlerinages, il est possible d’acquérir des amulettes inspirées de gravures. On peut alors se poser la question du lien entre l’image mobile et celle fixée au mur ? Saint Michel est le protecteur des passeurs de montagne mais c’est aussi un outil de contre-réforme. L’iconographie des amulettes est reproduites sur les murs, ou inversement. Les motifs se déplacent par la gravure.

Parfois le saint est muni d’une lance avec une croix au bout, cette dernière entre aussi parfois dans la bouche du démon que terrasse l’archange. Il y a un possible transfert de saint Georges entre le démon et le dragon. Dans le cadre d’une tension religieuse, Michel a une bête qui s’accroche à la balance afin de faire changer le jugement des âmes. La balance est un attribut de Michel puisque c’est lui qui préside lors de la pesée. Il est parfois assisté de la Vierge qui peut contrebalancer le démon en appuyant sur le plateau de la balance. On trouve cette iconographie également dans des édifices qui ne sont pas forcément dédiés à Michel, dans des chapelles rurales par exemple. Notamment dans des édifices dédiées à la Vierge qui est une importante dédicataire au Moyen-Age. Il peut aussi être associé avec saint Pierre avec qui il est uni dans le passage de la vie à la mort.

Il y a également une dimension courtoise à l’iconographie de Michel, même dans un milieu modeste et rural. Saint Michel est un chevalier, tout comme Georges, Maurice et Martin. Leurs histoires sont diffusées par les romans courtois pour qui ils sont des idéaux. Michel est le jeune homme noble, il est habillé en tunique courte ou en armure (souvent à valeur documentaire et datable). Il peut aussi bien être un prêtre en soutane avec un pectoral carré. Blanc, argent et or sont des couleurs fréquemment utilisées pour lui car elles représentent la pureté, la noblesse et la spiritualité. Il a souvent une lance ou une épée, selon la composition et le message, la lance apporte une dynamique à la composition, l’épée pour les situations de jugement associé à la balance; Le bouclier est rare chez Michel car, d’une part, il n’a pas besoin de protection, d’autre part, il n’a pas trois bras et doit porter sa balance. Dans les Alpes, sur les terres de la maison de Savoie, saint Michel arbore la croix de Savoie qui allie un rôle politique à son côté militaire. La maison de Savoie vouait par ailleurs un culte soutenu à Michel.

Ce saint n’a jamais de barbe mais souvent des cheveux mi-longs, bouclés et lâchés. Dans les calendriers il est le beau jeune homme du mois de mai. Ses cheveux peuvent alors être fleuris de roses blanches et rouges en référence au rosaire de la Vierge.

Dans un contexte modeste, Michel est un protecteur contre les morts subites : pestes, troubles politiques, crimes hérétiques, accidents de montagne. Il est le dernier rempart contre la mort accidentelle ou criminelle. C’est notamment pourquoi les dévotions sont fortes jusqu’à l’ingestion des peintures après les avoir grattées ou léchées.

L’image est souvent celle d’un saint, plus qu’un ange. Il s’est souvent représenté en hauteur, à l’extérieur pour protection. Cette protection est effective par la vue de l’image, il faut donc qu’elle soit visible de loin. Les proportions sont souvent exagérées surtout pour les yeux et les mains. Il faut que l’image soit vue de loin. L’archange a un rôle de miséricorde, il étend ses ailes comme la Vierge son manteau.

A la fin du XVe, début du XVIe, avec les grands flux migratoires de protestants, Michel passe du juge au pourfendeur en rappel du dogme. L’accumulation des saints augmentent leur pouvoir. Ainsi, Michel peut être accompagné de tout le monde, en fait la réflexion est inverse : tout le monde peut être accompagné de ce saint. Michel est en tête des intercesseurs, il vient donc appuyer les saints sur des compétences complémentaires.

Chaque peinture murale est à considérer dans l’intégralité du programme iconographique. Michel peut être dans la cour des saints autour de la Vierge, il est le champion de cette dernière. Il peut passer devant les saints pour accéder à la Vierge. Dans le cadre du jugement dernier, il est dans l’axe du Christ en tant que psychopompe (= juge des âmes, j’ai appris le mot et le trouve joli). La balance est alors en évidence en tant que passage. C’est une des iconographies les plus anciennes de saint Michel.

De loin, on aperçoit une vraie balance de changeur mais les détails montrent qu’elle est particulière : des paniers ou des tonneaux remplacent souvent les plateaux. Car ce sont les âmes qui sont dans la balance, souvent des élus. Ils ont souvent les yeux bandés car on ne regarde pas son jugement en face en signe d’humilité mais restent souvent très expressifs.

Dans les régions troublées, les symboles sont moins forts alors que la violence de la représentation prend le dessus. Michel est toujours prêt à frapper au-delà du tri.

Dans le cadre de la dévotion anti-pesteuse pour laquelle il est aussi invoqué, Michel est accompagné des saints Roch et Sébastien. C’est Michel qui a libéré Rome de la peste au IVe siècle, ce qui a entraîné la construction du château Saint-Ange.

Les anges sont les symboles de la lutte de la lumière contre l’ombre. Il y a deux saints Michel placées stratégiquement au printemps et à l’automne. Celle du 29 septembre a pour but de protéger l’automne et préparer l’hiver. Il est alors associé à saint Bernard de Menton fêté le 15 juin avec qui il marque les dates de montées et descentes des alpages.

Michel est une figure polysémique qui mêle folklore et superstition en montagne. Son image est cumulative ce qui correspond à la complexité de la construction mentale médiévale.

Les commandes de représentation sont souvent collectives par des religieux ou des laïcs, pas des confréries par exemple. Ce sont parfois les curés eux-mêmes qui propagent les hérésies. La communauté se fait intermédiaire du particulier. Cela permet d’écrire des programmes et censure aussi certaines envies.

Comme on conserve entre 7 et 15% des sources documentaires concernant ces œuvres, il est impossible de faire des attributions. Certaines représentations ont toutefois été réalisées par des peintres royaux, connus jusqu’au fond des Alpes. Ces peintres font aussi de la formation sur place. L’avantage des peintres locaux c’est qu’ils sont moins chers et moins regardant sur le programme. On trouve des ateliers familiaux où il est impossible d’identifier la main du père de celui du fils, il n’y a donc pas d’attribution non plus. Malgré ces liens de formations, on ne trouve pas d’école.