Dans le cadre du Movie Challenge 2020, j’ai été invitée à regarder un film en noir et blanc. Good Night and Good Luck est un film qui raconte les émissions d’informations sur CBS présentées par Ed Murrow et réalisées par Fred Friendly durant la chasse aux sorcières de Mc Carthy. Je ne voulais pas revoir The Artist et un film en noir & blanc à l’époque où ce n’était pas un choix ne m’intéressait que moyennement. Ce film est un bijou d’engagement et de réalisation
L’histoire

Ed Murrow est un journaliste d’investigation renommé, il s’est fait connaître aux Etats-Unis par ces correspondances radiophoniques durant la Seconde Guerre mondiale. Au début des années 1950, il présente See it now sur CBS. Cette émission hebdomadaire présente des informations sur la base de documents filmés. Il présente aussi d’autres émissions de divertissement qui servent à financer les émissions d’informtions. A cette époque le journalisme doit être impartial, toute histoire doit être présentée de deux façons, par deux côtés opposés sur un débat.
On est en pleine Guerre froide, et le sénateur McCarthy lance une véritable chasse aux sorcières dans la société états-unienne. La situation est quelque part absurde, et elle est pourtant vraie, car on demande aux gens de déclarer sur l’honneur qu’ils n’ont jamais eu de relations avec le parti communiste ou avec quelqu’un qui en a eu. Il y a des enquêtes et des délations qui aboutissent à des licenciements, des arrestations, des détentions et des procès fondés sur des on-dit. Ce qui, au pays des libertés, est difficile à justifier.
Ce climat que peu de gens supportent, autant dans l’assentiment que l’endurance, est totalement occulté des médias télévisuels par la peur. S’opposer au maccarthisme c’est alors quasiment faire un aveu de communisme, la presse écrite toutefois y fait référence. Les équipes de Murrow et Friendly vont prendre le risque de présenter une actualité éditorialisée, avec un point de vue, contre McCarthy, utilisant uniquement des extraits de son discours. Comparés aux actions du sénateur, ces propos ont permis d’aboutir à son procès et la fin de cette période complexe.
Le film commence et s’achève par le discours que fait Murrow lors de la remise d’un prix pour son travail. Il y aborde le conflit entre les informations, leur édition et le rôle du divertissement dans la télévision. Alors que les chaînes cherchent de l’audience pour recevoir des fonds de sponsors et de publicitaires, Murrow regrette que plus de budget ne soit pas alloué à l’information et à l’éducation des gens à travers la télévision. Ci-dessous voici un extrait du discours (il y a un lien vers son intégralité un peu plus loin).
To those who say people wouldn’t look; they wouldn’t be interested; they’re too complacent, indifferent and insulated, I can only reply: There is, in one reporter’s opinion, considerable evidence against that contention. But even if they are right, what have they got to lose? Because if they are right, and this instrument is good for nothing but to entertain, amuse and insulate, then the tube is flickering now and we will soon see that the whole struggle is lost.
This instrument can teach, it can illuminate; yes, and even it can inspire. But it can do so only to the extent that humans are determined to use it to those ends. Otherwise, it’s nothing but wires and lights in a box. There is a great and perhaps decisive battle to be fought against ignorance, intolerance and indifference. This weapon of television could be useful.
Les résonances

J’ai trouvé ce film très intéressant pour sa dimension historique mais aussi pour son intérêt documentaire. J’ai regardé un des supplément au DVD où l’équipe du film, y compris les consultants qui ne sont autres que les véritables personnes incarnées dans ce film ou leurs descendants. Certes certains dialogues ont été inventés mais la trame de l’histoire, les discours et toutes les émissions diffusées sont repris d’après les textes originaux, avec les intonations originales.
A cette époque, où la publicité finance déjà la télévision privée, les émissions d’informations sont une obligation faite aux réseaux pour remplir une fonction de bien public en contrepartie de l’exploitation des ondes, qui sont du bien de tous. Toutefois elles sont malmenées par la pression des financiers des réseaux de diffusion. George Clooney, réalisateur et acteur du film, énonce, dans le supplément que j’ai visionné, qu’il souhaite que le film puisse ouvrir un débat sur la place du journalisme aujourd’hui. Le film est de 2005, qui voit l’avènement des chaînes d’information en continu.
Je trouve intéressant de voir qu’aujourd’hui l’information est devenue une forme de divertissement, une course au scoop sans parfois vérifier les sources ou creuser l’histoire. Des suites de duplex creux et d’interview qui n’apporte pas grand chose. Il y a aussi des médias qui s’en sortent pas mal, qui proposent une autre approche, et ceux-là sont peut-être plus dans la vision que propose Murrow dans son discours sur l’avenir de la télévision, du divertissement et de l’information.
Un beau film

En plus d’être un film intéressant, Good Night and Good Luck est un beau film. Comme je le disais en introduction à l’article, il est tourné en noir et blanc ce qui est un choix stylistique. On peut y attribuer de nombreuses significations : c’est la couleur de la télévision de l’époque, c’est un moyen de mettre dans une ambiance plus sombre par rapport au maccarthysme, c’est aussi un moyen de rester fidèle aux reproductions de diffusion. J’aimerais ajouter une dimension esthétique au noir et blanc : ce travail de contraste, les jeux de lumière et d’ombre. Tout cela est un délice pour les yeux durant tout le film !
La mise en scène propose aussi des temps de silence, j’ai cette vision d’une scène où deux personnages se regardent à bonne distance dans la loge maquillage, la caméra fait un plan où on voit les deux personnages quelques secondes statiques depuis l’extérieur de la pièce. Les encadrements de fenêtre proposent des découpes et un rythme de l’image qui est très intéressant esthétiquement à regarder.
La musique est également très présente avec des scènes muettes appuyées par de la musique, ou alors une scène de chant qui vient, toute seule, on voit juste un plan avec une chanteuse, appuyer une émotion. Dans un bon film, en général je n’entend pas la musique, c’est un souci pour moi car elles sont très belles, et j’en profite en général lors du générique. La musique de film vient appuyer et renforcer les émotions, mais à part dans les muscials où évidemment elle joue un rôle à part, pour moi, une bonne musique de film est une musique qui se fait oublier, encore une fois je trouve ça très beau mais je préfère ne pas m’en rendre compte pendant le film car cela veut dire que je m’ennuie ou que la musique m’interpelle. Dans Good Night and Good Luck, la musique est une personnage, elle a un rôle entier. Elle couvre les discussions qui n’ont pas pu être certifiées, elle vient apporter un discours à travers une chanson pour renforcer la narration. C’est un usage magnifique et, évidemment, elle est très belle !
En complément de la musique vient le phrasé ! C’est troublant et pour cela un des aspects les plus délicieux du film. Etant fondé sur des reportages et émissions télévisés, la plupart des phrases prononcées dans ce film ont pu être entendues par ailleurs. Ed Murrow a un phrasé, une diction, très particuliers et David Thrathairn, l’acteur qui joue Murrow, s’en sort à merveille pour reproduire cette diction précise, rythmée, très radiphonique, du modèle original. J’ai pu entendre des extraits des documents sources (disponibles sur la page du discours cité plus haut) et c’est vraiment un travaille bluffant.
Je suis ravie d’avoir pu voir et écrire au sujet de ce film qui m’a beaucoup plu par sa qualité esthétique, sa narration et son message. Je ne saurais que vous encourager à le visionner.
A très bientôt pour un autre article dans le cadre du Movie Challenge 2020 !