L’exposition Partition de Bernard Legay à l’Artothèque de Caen était organisée en partenariat avec le Café des Images, cinéma d’art et d’essai, pour la diffusion du film Sfumato de Christophe Bisson. Le film est un documentaire réalisé sur le travail de Bernard Legay. Christophe Bisson a suivi Bernard Legay pendant trois ans pour réaliser ce documentaire d’un peu plus d’une heure. L’occasion d’évoquer les films sur le geste artistique.

Je ne connais pas beaucoup de films documentaires sur le geste artistique (si vous en connaissez d’autres que ceux que je vais évoquer n’hésitez pas à partager les titres en commentaire). D’un point de vue d’historienne de l’art, c’est juste passionnant. Cela donne un document presque de première main sur la création. C’est ce que j’ai trouvé frustrant dans toutes mes études d’art ancien : le manque de certitude sur la création. Enchaîner les hypothèses sur les conditions et les étapes de réalisation. C’est aussi pour ça que beaucoup de méthodes ont été mises en place pour étudier, presque disséquer, les tableaux. Identifier les gestes, les coups de pinceaux, les glacis, les repentirs et les repeints, tout cela a pour objectif de différencier l’approche que l’on a du tableau à l’instant T par rapport à un état « originel » issu de la volonté de l’artiste. Pour les peintures anciennes, la question de la place de l’atelier se pose aussi. Surtout quand un des membres de l’atelier deviendra par la suite un peintre reconnu à son tour. Et puis il y a aussi toutes les recherches documentaires, d’éventuelles traces de commandes, de rapport de commentateur de l’époque. Tout cela a des allures d’enquête qui passionne de nombreux historiens !

La création contemporaine permet de pouvoir confronter l’analyse et l’interprétation à la volonté première de l’artiste vivant. C’est quelque part avoir un peu de certitude dans une interprétation personnelle, une confrontation par rapport au message voulu par l’artiste (s’il y en a un).  Quand on regarde une oeuvre, on se demande ce qu’elle veut nous dire. Et dans la création contemporaine, il y a des moyens d’avoir des réponses à ces questionnements et hypothèses. S’ils ne collent pas à l’histoire de l’artiste, ils n’en restent pas moins justes car ressentit par un sujet spectateur.

C’est peut-être parce que j’en suis incapable que le geste créateur me passionne, surtout quand il est pleinement conscient et travaillé. Du point de vue de la médiation, c’est également un outil extraordinaire ! La rencontre avec le visiteur, souvent humble face à l’oeuvre, et l’artiste permet, par l’accompagnement du médiateur, de prendre confiance en ses ressentis, en ses impressions et son interprétation personnelle. Pour certains artistes et pour certains publics, cela peut toutefois créer des blocages. Et c’est à cet endroit que je pense la place du film.

Le film de création se passe dans un univers choisit : l’atelier, l’extérieur, un plateau de cinéma, etc. Tout dépend de l’artiste et aussi du réalisateur qui vient forcément poser son regard d’une façon qui biaise le regard du spectateur.

Le premier film du genre est celui de Clouzot, réalisé sur la création de Picasso. C’est un peu grandiloquent. L’artiste n’est pas filmé dans son atelier. Le résultat du film, par rapport aux suivants, est un peu factice, le peintre dessine sur du papier dont voit apparaître les lignes par transparence. La plupart du temps, on voit la réalisation du geste sans voir le geste lui-même. De plus, on voit l’artiste réaliser des œuvres pour le film et non dans le cadre de sa production habituelle ou du moment. C’est le film qui conditionne l’oeuvre et non l’oeuvre qui conditionne le film. De dessins en dessins, on voit les traits se construire, les ombres et la matière apparaître, les couleurs. C’est assez pédagogique sur la façon dont un dessin se construit. En plus, l’œuvre de Picasso est réduite à son aspect pictural alors qu’il a fait bien d’autres choses. Lors du visionnage, j’ai parfois eu l’impression de participer à ces jeux qu’on voit parfois à la télévision où il faut deviner le sujet de l’image le plus tôt possible. Le ton de la musique aide parfois un peu. Ce que j’ai pu percevoir dans ce que le film ne montre pas, c’est comment la vision de l’artiste dépasse et voit toujours plus loin que le stade où en est l’oeuvre. La vision est plus globale, comme la partie d’échec d’un grand joueur qui aurait toujours dix coups d’avance. Enfin, à la moitié du film, nous changeons de côté ! Le peintre apparaît, le dialogue entre lui et le réalisateur s’installe. Et alors on voit que c’est le réalisateur qui donne la cadence et non l’artiste. C’est finalement la bobine qui décide que le dessin est fini. Puis le bal des dessins reprend.

Le premier film d’artiste que j’ai vu est le très court documentaire réalisé sur Gerhard Richter par Corinna Belz, disponible sur YouTube et ci-dessous. J’ai trouvé ce film dans le cadre d’un exposé de licence, pour le cours sur la conservation restauration, où nous devions, notamment, nous intéresser au geste en peinture. On voit mon peintre préféré réaliser le raclage des peintures abstraites selon un procédé qu’il a inventé. Il n’y a pas de commentaire et je trouve que ce film magnifie le geste de l’artiste dans un des types de peinture qu’il réalise. C’est réducteur car Richter fait autre chose que de l’art abstrait mais les œuvres sélectionnées sont les plus énigmatiques et dont le procédé est le plus particulier.

Enfin, Sfumato, le dernier film du genre que j’ai vu. L’objectif de Chirstophe Bisson a été de restituer le processus créatif de Bernard Legay plus que la réalisation des œuvres. Il faut dire que le contrat de départ stipulait que Legay ne voulait pas être filmé et il ne voulait pas non plus voir filmer ses œuvres. Cela donne des plans très rapprochés, et donc très partiels, ainsi qu’un usage du flou, surtout au début du film. Ce que met en place le film, par le partage de la vie créative, faite de promenades, d’attentes, de silences, de mouvements, de gestes, c’est de présenter tout ce qu’il y a dans l’entre-deux. Car la création, comme processus cérébral, se nourrit de tous ces éléments avant de prendre forme. Aucune oeuvre n’est filmée en entier, car ce n’est pas l’oeuvre le propos mais la création. Il n’y a pas de commentaire mais deux interventions de l’artiste. Sa voix surgit alors sur des moments qui sont silencieux. On ne le voit pas parler.

Les cinéastes présents dans la salle de projection de Sfumato ont fait de grandes interprétations, chargées de références cinématographiques dont je suis incapable. Ce que je peux dire toutefois, c’est que ce documentaire est très contemplatif et qu’il plonge dans l’univers de l’artiste. Le partage de vie entre le réalisateur-artiste et l’artiste-plasticien donne un résultat qui traduit l’esprit de création artistique.

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